Mémoire de verre, Mémoire de guerre : une enquête historique au cœur de la Grande Guerre

Conseil lecture : Mémoire de verre, mémoire de guerre, Patrice Bard et Marie-Berthe Ferrer, aux éditions La Martinière 2014.

En cette veille du 11 novembre, je vous présente un livre captivant que j’ai dévoré en deux nuits. Il a tout pour plaire mêlant l’histoire, une enquête et un hommage émouvant aux hommes du Perche tombés pour la France. De plus, il dévoile la vie d’un village de l’arrière-front, bien plus en avant qu’il n’y paraît.

En 2009, Marie-Berthe Ferrer et Patrick Bard s’installent dans une maison du XVIe siècle à Préaux-du-Perche, un village de moins de 600 habitants. Ce qu’ils ne savent pas encore, c’est qu’ils vont être entraînés dans une aventure historique…

Préaux-du-Perche cache en effet un trésor méconnu dans son église Saint-Germain : des vitraux uniques en leur genre commémorant les soldats morts pendant la Grande Guerre.

Les Vitraux de Préaux-du-Perche

Commandés avant même la fin du conflit pour commémorer les sacrifices des jeunes hommes du village, ces vitraux sont le fruit d’une souscription publique. Contrairement aux simples listes de noms courantes sur les monuments aux morts, ces portraits en couleur, bien que dégradés par le temps, offrent une connexion visuelle poignante avec les soldats tombés. Préaux a perdu 49 de ses 924 habitants pendant la Grande Guerre, et faute de moyens, certains ne sont pas représentés sur le vitrail. 30 noms de soldats dont 18 visages sont enchâssés dans le verre, rappelant de manière émouvante les sacrifices de ces jeunes hommes.

Les vitraux de l’église Saint-Germain, avec leurs portraits en couleur, sont une expression unique de cette mémoire, créant un pont émotionnel entre le passé et le présent.

Une enquête passionnante, un hommage aux héros oubliés

Subjugué par cette découverte, Patrick Bard décide de photographier ces visages pour les restituer en grand format, redonnant vie à ces poilus dont les regards semblent encore percer le temps. L’aventure devient collective lorsque la commune de Préaux-du-Perche décide de restaurer ces précieux vitraux.

L’enquête menée par Marie-Berthe et Patrick se révèle digne d’un polar. Pendant deux ans et demi, ils explorent les archives et les correspondances des soldats de Préaux. « Qui étaient ces hommes ? Quelle a été leur vie, leur mort ? » Ce sont les questions auxquelles ils cherchent à répondre. Leur première piste vient de Thérèse Boulay, une habitante de Préaux, qui avait conservé lettres, photos, cartes postales et effets de guerre de son grand-oncle Jules Ferré, le dernier Préalien à mourir, trois jours après l’Armistice.

Jules Ferré : un témoignage bouleversant de la vie au front et à Préaux

Jules Ferré est l’un des dix-huit poilus représentés sur le vitrail de l’église Saint-Germain à Préaux-du-Perche. Mort d’épuisement et de dysentrie le 14 novembre 1918, trois jours après l’Armistice, son histoire a particulièrement touché Marie-Berthe Ferrer et Patrick Bard. Jules devient le fil rouge de leur livre, permettant de relier la vie de ces soldats à la grande Histoire de la Première Guerre mondiale.

En explorant les lettres échangées entre Jules et sa sœur Esther, décédée en 1980, ainsi que ses cahiers d’écolier et divers témoignages, Marie-Berthe et Patrick ont reconstitué son quotidien et ses pensées. Les courriers arrivent avec une régularité variable de deux à quatre jours. La distribution est efficace et gratuite. Les gradés ont bien compris que les lettres entre le front et l’arrière étaient indispensables pour maintenir le moral des troupes, apportant réconfort et lien avec leurs proches malgré. Les délais qui se rallongent quand Jules est fait prisonnier par les allemands. La correspondance révèle un homme soucieux de ses proches et de sa ferme. Il donne des conseils sur la moisson, s’inquiète de sa jument, et se demande si les copains sont toujours en vie.

Les colis de nourriture envoyés par sa famille apportent un réconfort bienvenu, avec des produits qui sentent bon le terroir de Préaux : du beurre, des bocaux de viande de porc, du boudin, des tripes, du cidre, du calva. Cependant, malgré ces petites joies, les lettres de Jules décrivent aussi l’horreur des combats. Il exprime son horreur face aux massacres auxquels il participe malgré lui, décrivant la boue, le froid, et les conditions de vie misérables dans les tranchées.

Un héritage durable

« Mémoire de Verre, Mémoire de Guerre », de Patrick Bard et Marie-Berthe Ferrer, est une œuvre puissante qui combine histoire et mémoire pour rendre hommage aux sacrifices des soldats de la Grande Guerre. Le livre met en lumière l’importance de se souvenir des héros oubliés et montre comment l’art des vitraux peut transcender le temps.

À travers une enquête historique minutieuse et les récits personnels de soldats comme Jules Ferré, les auteurs offrent une compréhension profonde des épreuves endurées par les poilus. Ferré, dont les lettres et souvenirs sont au cœur du livre, incarne la réalité brutale des combattants et la souffrance humaine.

Le travail des auteurs ne se contente pas de révéler un patrimoine historique unique, il immortalise également l’héritage des soldats pour les générations futures. Leur livre est un témoignage poignant et durable, rappelant à tous l’importance de la mémoire collective et de l’hommage à ceux qui ont sacrifié leur vie pour la France.

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